Les oubliés de Gandelu, Jochen Gerz








Les livres de Gandelu / Jochen Gerz
Editeur :  Liège : Yellow Now, 1976
Description : Non paginé : ill. ; 20 cm

«Les habitants du villages de Gandelu n'écrivent pas de livres qui racontent leurs histoires. On n'écrit pas non plus de livres sur leur vie. Les seuls livres qui parfois portent leurs noms sont ceux que l'on peut trouver sur leurs tombes.» Plus anonyme encore que «l'homme infâme» de Michel Foucault, puisqu'il n'est même pas tiré de son obscurité par les faisceaux du pouvoir, l'hommes des Livres de Gandelu ne fait pas couler d’encre, parce qu’il ne participe pas à la grande histoire, ne se distingue pas de la masse des êtres ordinaires, ne croit même pas à l’existence de leur singularité. Ce qu'il reste de lui, une autre forme de livres: des livres en pierre qui, eux, sont faits pour durer.

Sur les pages de droite, les photos N&B de livres de pierre posés sur des tombes du village de Gandelu. Parfois un nom, des dates, singularisent une vie et excluent du même coup le lecteur. Guéné Robert, 1902-1960, c'est personne. Il n'est pas mort assez jeune pour que les dates nous émeuvent. Il n'est le père, le frère, l'ami de personne. Il y a les autres épitaphes: «À mon père - À mon frère - Regrets éternels». Celui-là inscrit le mort dans une communauté de vivants, évoque la souffrance de ceux qui restent aussi.

Enfant, je jouais au Robin des bois des cimetières. Je les visitais souvent pour redistribuer équitablement fleurs et ornements, quitte à plonger dans les bennes d'ordure pour repêcher un bibelot désuet, un vase brisé, un bouquet pas tout à fait fané pour fleurir les vieilles tombes abandonnées. Ce n'était pas par respect pour les morts, mais par peur de l'oubli. Ces personnes-là, sous les tombes désertes et délabrées, n'existaient plus pour personne. Je ne pouvais pas le tolérer. Depuis, j'ai gardé la passion des cimetières. J'aime les visiter, surtout les petits cimetières de villages. Je ne m'occupe plus des laissés pour compte, mais l'angoisse de l'oubli est toujours présente. Je l'apaise en intellectualisant les raisons de ces désertions.

Extrait: «Lorsqu'il aurait enfin rendu inaudible tout ce qu'il leur avait dit au point que chaque mot soit devenu en eux un instant, il s'assiérait face à ces livres de pierre. L'un après l'autre, il les regarderait jusqu'à ce qu'ils soient vides.»