Portraits de Ralph Eugene Meatyard
[...] On l’a compris, ce n’est pas la valeur documentaire que recherche Meatyard. Penseur de la photo, travaillé par des influences aussi diverses que la culture zen et le surréalisme, il construit des sujets destinés à traduire en images ses expériences intérieures. Cent vingt tirages originaux montrent à Montpellier, dans des paysages bougés, tremblés, qui hystérisent la décrépitude, son épouse, ses trois enfants, posant dans des drames symboliques d’une bien inquiétante étrangeté.
Comme chez Debbie Fleming Caffery, comme chez Sally Mann, les enfants, vecteurs du magique, dotés de pouvoirs diaboliques, font surgir fantastique et chimères. Ils n’expriment pas seulement la perte de l’innocence, mais quelque chose de plus existentiel. Leurs corps, parfois défigurés, évanescents, comme en voie de dissolution, montrent que, comme chez la post-adolescente Francesca Woodman, ils sont, travaillés par de longs temps de pause, des fantômes en devenir. C’est perturbant.
C’est politique, aussi, lorsqu’ils brandissent le drapeau américain, lorsque des poupées noires et blanches démembrées, décapitées (clin d’œil au surréaliste Hans Bellmer), ne parviennent jamais, sur ces terres du Ku-Klux Klan, à se superposer.
Si Meatyard adore faire poser ses enfants, il ne dédaigne pas mettre en scène les adultes. Ses tableaux les plus créatifs, les plus dérangeants, en ce domaine, sont contenus dans les 64 tirages d’une expérience sans équivalent, « l’Album de la famille de Lucybelle Crater ». Sur fond de décrépitude, dissimulés derrière d’inquiétants masques de sociétés primitives, ses proches, amis, voisins se prêtent à ces troublants tableaux androgynes dans lesquels Ralph Eugene et son épouse échangent leurs rôles et vêtements.»