Time Capsule, par Warhol


" À mon avis, nous devrions tous vivre dans un grand espace vide. Ce peut être un petit espce, du moment qu'il est propre et vide. J'aime la manière dont les Japonais rangent tout dans les placards, mais je préfèrerais qu'il n'y ait pas de placard, car c'est hypocrite. Mais si on ne peut pas aller jusqu'au bout, et qu'on estime réellement avoir besoin d'un placard, il faut que le placard soit une proportion d'espace totalement séparée, afin de ne pas trop l'employer comme béquille. Si l'on vit à New York, il faudrait que le placard soit au moins dans le New Jersey. En plus de la fausse dépendance, il existe une autre raison de maintenir le placard à la bonne distance de l'endroit où l'on vit: on ne veut pas avoir le sentiment de vivre la porte à côté de son dépotoir. Le dépotoir de quelqu'un d'autre ne serait pas aussi déplaisant, parce qu'on ne saurait pas exactement ce qu'il y a dedans, mais la pensée de son propre dépotoir, en sachant tout ce qui s'y trouve dans le moindre détail, ça pourrait rendre fou n'importe qui. Tout dans ce placard devrait avoir une date limite, comme le lait et les journaux, et chaque fois qu'une chose arriverait à expiration, on la jetterait. Le mieux ce serait d'avoir une boîte pour un mois, de tout y mettre et de la boucler à la fin du mois. Et puis de la dater et de l'expédier dans le New Jersey. Il vaudrait mieux tâcher d'en  garder une trace, mais sinon c'est très bien quand-même, si vous la perdez, parce que c'est toujours une chose en moins à laquelle penser: un poids de moins sur l'esprit: Tennesse Williams garde tout dans une malle et puis l'expédie à un grade-meuble. J'ai moi-même commencé avec des malles et des meubles d'appoint, mais je suis ensuite parti à la recherche d'autre chose (de mieux). et maintenant je me contente de tout jeter dans des boîtes de carton marron toutes semblables, avec une tâche de couleur sur le côté qui indique le mois et l'année. Mais j'ai vraiment horreur de la nostalgie et, tout au fond, j'espère que tout se perdra et que je n'en reverrai jamais rien. J'ai toujours eu envie de jeter les choses par la fenêtre quand on me les tend, mais au lieu de suivre ma tentation, je dis merci et je les jette dans ma boîte du mois.
Mais mon autre point de vue, c'est que j'ai réellement envie de garder les choses pour qu'elles puissent reservir un jour."
Andy Warhol, Ma philosophie de A à B et vice versa, Paris, Flammarion, 2007, p. 116-117.

Andy Warhol a stocké le flux des objets et papiers qui l'entouraient dans environ 600 boîtes entre 1974 (son déménagement sur Broadway) et 1987 (sa mort).