Mon quartier vu de ma fenêtre, Didier Bay












J'ai déplacé mon bureau pour le mettre juste en face de la fenêtre qui donne sur la rue. La vue me fait penser à ce livre d'artiste de Didier Bay, qui est un peu dans l'esprit de L'Autopsie du quotidien, et je me retiens pour rester arrimée à mon écran d'ordinateur au lieu de me lancer dans un énième projet sur le quotidien, qui me trotte dans la tête, et que je ne terminerai jamais parce que ce serait trop beau.

«Ainsi, entre 1971 et 1972, Didier Bay entreprend un projet autobiographique qui donnera lieu à l’œuvre intitulée Mon quartier (vu de ma fenêtre), un recueil de photographies et de textes qui se déploie en dix albums. La mort de sa mère est l’élément déclencheur de cette entreprise. Se rendant compte qu’il ne sait rien d’elle, de la femme qu’elle fut, ni des autres membres de sa famille, il s’efforce « à découvrir qui [il est], et qui sont les membres de [s]a famille, à travers tous les documents divers dont des photos qui dorment dans les fonds de tiroirs ou de vieilles boîtes de chaussures. » (Palais des Beaux-arts de Bruxelles, 1974) Mais il échoue. Face à la difficulté de lire ces images et de leur « donner un sens », il est conduit « à découvrir qui [il est] maintenant, aujourd’hui. »

C’est l’étude de son quotidien,  de son quartier, qui lui permettra de mettre en lumière son identité. Didier Bay ne se trouve pas dans les souvenirs mais à travers son présent. Or, le présent se caractérise par une absence de relief, un aspect informel. Afin de mener son projet à bien, l’artiste va devoir opérer une mise à distance de son quotidien et le fixer. Il va d’abord choisir un poste d’observation qui lui permet de prendre de la hauteur par rapport à ce quotidien, soit la fenêtre de son appartenant qui surplombe son quartier. À partir de cette position de retrait, l’artiste va photographier la vie qui s’y passe et décrire ce qu’il voit. Cette entreprise prend alors la forme de cahiers sur les pages duquel il restitue le résultat de son observation. Chaque page se compose ainsi de séquences événementielles de la vie de son quartier accompagnées d’un texte décrivant ce qui s’y passe et qui l’on y voit.

Ce travail dépasse le simple enregistrement du fil des choses car, en plus de fixer son quotidien, l’artiste l’inscrit comme objet. Il se dissocie du présent vécu par son travail d’écriture visuelle et scripturale. Cette mise en texte de son expérience sensible acquiert son autonomie en tant que récit d’une expérience individuelle. Cependant, si le livre participe de l’unité narrative, les séquences qui le composent, parce qu’elles relèvent d’un principe sériel, ne permettent pas au cliché d’acquérir sa force d’unité narrative.» 

Extrait de Photographie, séquence et texte. Le Narrative art aux confins d’une temporalité féconde, de Perin Emel Yavuz, 2008