Sortir du gris, Mathieu Pernot
Mathieu Pernot a découvert l’existence d’un fond de photographies anthropométriques d’anciens internés d’un camp de concentration. Ce camp, situé en Camargue, était destiné à l’internement des tsiganes et devait servir de propagande au gouvernement de Vichy. Le travail de l’auteur a consisté à retrouver les survivants, puis à tenter de retracer l’histoire de ce camp, en confrontant les sources administratives à la mémoire vivante des anciens internés. Le projet associe ainsi la mémoire vivante aux documents d’archive et interroge l’acte de restituer l’histoire de ceux qui ne l’inscrivent pas.
Je vous conseille de lire une entrevue pour réfléchir aux enjeux qu'a soulevés ce projet:
Et un peu plus loin:
«Lors du travail sur le camp de Saliers, j’avais conscience de faire un travail qui n’avait jamais été fait et qui ne pourrait plus être réalisé par la suite. Très peu de gens s’étaient intéressés à cette histoire et il y avait chez les rares historiens spécialistes de cette question une forme de tabou et de peur de l’image. Or, il me semblait indispensable de raconter l’histoire du camp par les photographies des carnets anthropométriques et les portraits des survivants. Mais cela ne pouvait suffire et j’ai donc demandé à deux historiennes d’intervenir. L’histoire du camp de Saliers a donc été écrite et mise en forme par la mise en commun de pratiques plurielles. C’était un projet qui me dépassait et il me semblait indispensable de faire un livre d’histoire plus qu’un livre d’artiste. »
Voir aussi les commentaires de Georges Didi-Huberman:
«Vous avez résumé votre projet photographique, cher Mathieu Pernot, en affirmant que vous cherchiez à saisir, à pérenniser, “le moment où l’histoire se donne un corps”. Or, ce “moment” n’en est pas un tout à fait, je veux dire qu’il ne relève en rien, par exemple, de cet “instantané” dont l’art photographique cherche si souvent à nous convaincre, comme pour nous dire son ancrage constitutionnel dans le “réel” ou l’authentique apparition d’un “ça-a-été”. Ce moment existe sans doute, mais il existe comme travail : c’est une durée dialectique. Il suppose, dans votre approche du camp de Saliers, la coexistence et le montage de plusieurs procédures, donc de plusieurs médiums et de plusieurs temporalités : c’est le trajet du camp tsigane vers la préfecture des Bouches-du-Rhône, l’exploration des archives et la reproduction photographique de photos déjà existantes, les portraits d’identité de Tsiganes réalisés à l’époque de la guerre ; c’est la collecte des noms, le retour au camp tsigane et la recherche – elle-même tâtonnante, erratique, itinérante, orale, hasardeuse, nomade pour tout dire – des survivants ; c’est la mise en relation des images d’autrefois avec les images du présent ; c’est le recueil d’enregistrements sonores, puis la transcription, des témoignages de chacun ; c’est la cartographie des trajets d’itinérances volontaires ou forcées ; c’est la discussion avec les historiens spécialistes de cette époque et l’inclusion de leurs recherches dans votre propre élaboration iconographique. On découvre alors une réalité historique aussi proche de nous qu’elle aura été refoulée loin de notre mémoire politique. »
Voir aussi les commentaires de Georges Didi-Huberman:
Georges Didi-Huberman, « Sortir du gris », in Mathieu Pernot. La Traversée, Paris, Jeu de Paume, Cherbourg, le Point du Jour, 2014, p. 19.»
Source: Mathieu Pernot