Disparitions et transparence, Francine Zubeil
Hors de contenance 2002 Livre d’artiste, 68 pages, format 20 x 25 cm Impression offset 6 couleurs sur papier calque satin et argent, couverture cartonnée Éditions La fabrique sensible, Marseille |
«Pour l'exposition Art Exchange à New York, en 1996, des photos de vêtements, imprimées sur transparents, furent collées sur les vitres d'une galerie. Pendant l'exposition, j'ai écrit un texte servant de base à la conception du livre : confrontation de photos de vêtements, d'immeubles, de corps ; en négatif, en couleurs ou en noir et blanc ; changement d'échelle, transparence, photo en négatif retravaillées sur ordinateur.» Francine Zubeil
Hors de contenance s’ouvre et se clôt sur des photos de vêtements suspendues à un cintre prises dans l’appartement de la mère de l’artiste peu après sa mort. Les images se répètent. Imprimées en négatif sur papier transparent, elles évoquent peut-être une apparence, une transparence (voir à travers) ou alors un effacement, l'effacement de sa mère après sa mort. Au milieu du livre, l’objet bascule sur des lignes d’immeubles situés au cœur de Manhattan, où Francine Zubeil a été en résidence de création. Des immeubles remplis de solitude, comme le suggère le texte. Mais aussi une façade pleine de fenêtres, qui, grâce à leur transparence, laissent le regard entrer dans l'espace privé. Des phrases viennent ponctuer cette traversée, pour mieux faire vibrer l’absence et le vide : «le paradoxe d’une certitude que tout peut arriver, et que l’imaginaire dévoile des horizons hors limites»
Panique générale 1993
Livre d’artiste, 72 pages, format 17 x 24,5 cm
Impression offset 2 couleurs sur papier calque, couverture en sérigraphie sur carton
Éditions de l’observatoire, Marseille, collection en aucun lieu
500 exemplaires numérotés
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Panique Générale est la répétition d’un négatif d’un corps de femme voilé, imprimé sur papier calque avec de courtes phrases en rouge sur quelques unes des pages de droite. Le texte se voit par transparence, montrant divers modèles de panique et d’anxiété comme indiqués par les mots. Au fil des pages, j'ai relevé ces mots: oubli - ce trouble d'une nécessité banale - la pénombre des sensations - ce passé tissé d'humiliations - le désarroi de l'âme - une sensation d'écrasement - le bruit de l'émotion - la passion de cet oubli - on ne sait plus où l'on meurt.»
L’image ne change jamais, mais elle est imprimée sur les deux côtés de la reliure pour que son verso fasse face à son pendant grâce à la transparence. Les mains semblent nerveuses, les doigts se cherchent mais ne font que se toucher. Il y a une tension dans les coudes pliés et la moue des lèvres. Est-ce une communion ou un mariage ?
La première page est rouge, suivie de 4 pages transparentes. À la fin du livre, y a-t-il vraiment "disparition" lorsque le mot disparition apparaît en très petits caractères sur une feuille transparente ?
Almere en vitrines 1999
Les éditions de l’observatoire, Marseille
500 exemplaires
Publication réalisée à l’occasion de l’exposition
Almere achter glas
ACHK-De Paviljoens, Almere, Pays-Bas
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L’exposition «En vitrines» d’Almere (1999), qui a eu lieu dans l’ancien complexe de la Documenta 92 «De Paviljoens, s’inscrit dans une démarche de la ville d’Almere, ville nouvelle et quasi-banlieue d’Amsterdam, qui, pour se construire une mémoire, invite régulièrement des artistes à donner la vision qu’ils en ont. Pour ce faire, Francine Zubeil a entrepris un travail avec les habitants (agent de police, conseillers municipaux, élèves du collège, membres d’associations...) à qui elle demandait de la guider dans leurs lieux préférés qu’elle photographiait et dont elle recueillait systématiquement les paroles. Cette installation consiste principalement en seize grandes photos en couleurs, imprimées en négatif sur des transparents, appliquées sur les vitres ; elles se laissent ainsi regarder de l’intérieur et de l’extérieur ; «l’image rappelle la manière dont le néerlandais moyen applique un morceau de plastique mat et incolore sur les vitres de sa maison pour éviter que les passants ne voient à l’intérieur ; mais l’artiste veut aussi grâce à cette «vitrine» créer un lien entre l’intérieur du pavillon et son environnement social ; le pavillon s’ouvre ainsi à la ville, et à l’inverse, l’installation invite les habitants d’Almere à s’approprier le lieu». Pour reprendre les mots de l’artiste elle-même : «La vitre, lieu du passage du regard devient un lien social entre l’intérieur du musée et son environnement. Le spectateur, qu’il se trouve à l’extérieur ou à l’intérieur est impliqué, soit par un regard fugitif, une position du corps par rapport à l’espace architectural, soit par la réminiscence d’un souvenir, d’un fait ou d’une émotion». Cette collection de documents forme le point de départ de la mémoire d’une ville nouvelle. Ce sont les habitants d’Almere qui laissent dans leur paysage une trace indélébile et en font une page d’histoire, une histoire de gens et de lieux». «Dans nombre de ses œuvres, Zubeil perturbe les rapports intérieur-extérieur, privé-public, par le traitement qu’elle fait de la photo. La photo est tirée en négatif sur des transparents, ce qui a pour effet de changer les couleurs et les formes. La photo est également brouillée, recadrée, elle subit un découpage qui retient de préférence une partie du corps, des mains, des jambes, une silhouette... «un détail d’une photo, un geste capté presque intime, donné à voir est agrandi au format d’une fenêtre» (alors que les photos ont été prises en situation de récit dans la ville, dans leurs lieux favoris). Il y a là comme un jeu sur l’ambivalence du montré-caché : l’identité singulière de l’individu, voire son intimité, qu’on offre au public pour une éventuelle identification, est quasiment effacée ; la réalité, traquée pendant le travail d’enquête, est métamorphosée; on n’est plus dans le documentaire, mais dans le témoignage d’un local transfiguré. Le support transparent, que l’artiste utilise dans de plus en plus d’œuvres (portes, vitres, vitrines, fenêtres...), aide à cette déréalisation; cette capacité de voir les lieux dans leur potentialités ludiques, subversives, de revoir les formes, les mobiliers au-delà de leur fonctionnalité, de voir la ville autrement subvertit le privé. Cela suppose que nous revenions à la notion de privé que pourrait entendre l’usage de la photographie d’individus comme le fait cette plasticienne : est-ce la singularité de l’individu (la vie chez soi, son rapport aux autres et à la ville), ou est-ce la part intime de chacun, mais partagé par tous, un corps, un éphémère (transparence de la peau, des veines), qui serait également le commun, le destin commun, au-delà du destin local ; le négatif déréalise et atteint peut-être un caractère universel, comme celui du geste délesté que décrit F. Zubeil : «le négatif de l’image suspend les mains dans un envol, un geste à faire, un geste à prendre...». Michèle Jolé, sociologue, in Revue Villes en parallèle, juin-juillet 2002 (Les villes et le rapport public/privé) Source: Documents d'artistes, Francine Zubeil |