Les morts dont on sait juste qu'il ne faut pas les oublier, Christian Boltanski

















«Dans cette série d’œuvres , Boltanski propose une réflexion sur l’Holocauste sans jamais le nommer directement. «Ainsi, en 1987, Boltanski propose l’installation intitulée Le lycée Chases où il tire, à partir d’une photo représentant la classe de terminale d’un lycée privé juif à Vienne en 1931, une série d’agrandissements disposés en diverses combinaisons, illuminés par des ampoules électriques dont les fils pendent de façon désordonnée, parfois arrangés sur des boîtes en fer blanc supposées contenir des souvenirs des morts. Les ampoules et fils électriques censés éclairer l’œuvre rendent, en fait, difficile son observation, tout en suggérant la glaçante instrumentalisation de la technologie dans les massacres contemporains et son utilisation pour empêcher la perception de la réalité. Les photos des jeunes lycéens ont été agrandies au point de les rendre floues et grenues, amplifiant fortement la trame déjà existante, ce qui a pour effet d’évoquer des cadavres ou des corps en décomposition.

C’est ici, dans cette ambiguïté délibérée de Boltanski, que réside l’un des effets les plus troublants de ces œuvres : rien ne nous assure que les personnes photographiées sont vivantes ou mortes, l’ambiguïté force un regard inquisiteur à connotations voyeuristes fortement dérangeant et culpabilisant. Mais la chose va encore plus loin : Boltanski, en agissant, selon ses mots, en tant que «vendeur de cadavres», oblige son public à adopter un regard nécrophile. Puisque rien n’est affirmé, notre interprétation nous appartient, nous ne pouvons que nous en responsabiliser. Confrontés à l’ambiguïté d’une photographie, c’est nous qui voyons un cadavre, qui y mettons la mort. Nous ne pouvons plus rester tranquillement que du côté rassurant et éthiquement acceptable de la victime, du côté politiquement correct. Boltanski nous pousse aussi de l’autre côté, dans le rôle beaucoup plus troublant du complice et du bourreau. De ces œuvres, le spectateur n’en sortira pas indemne. Ici, la répétition glisse du côté de la mort : elle sert à figurer la mort, mais aussi à nous rendre sujets actifs, participants à la mise à mort.»

Dans Adela Abella Garcia, Christian Boltanski : un artiste contemporain vu et pensé par une psychanalyste, Revue française de psychanalyse, 2008/4 (Vol. 72).