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Photojournal d'une résidence d'écriture (Galerie Battat)
La discussion avec Sophie Jodoin a commencé dans son atelier. Elle m'avait invitée à voir ses oeuvres, avec beaucoup de générosité, et nous avions passé la soirée à parler d'art, de livres, de littérature tout en déambulant de table en table dans un atelier plein de travaux en cours et à venir. Par la suite, elle m'a proposé d'écrire un texte autour de son exposition une certaine instabilité émotionnelle à la galerie Battat. Ce texte, il est né peut-être justement grâce au contexte que Sophie a créé lorsqu'elle m'a montré les oeuvres qui constitueraient l'exposition. Des dessins en noir et blanc étalés sur trois longues bandes de papier blanc et, sur le mur, une douzaine de questions cliniques formulées au vous. Nous circulions à l'intérieur de cette installation, nous parlions, elle me parlait de ces phrases, de leur origine, moins des dessins dont on sentait qu'elle connaissait l'histoire, mais refusait de la dévoiler.
Entre ce moment et celui de l'exposition, l'oeuvre de Sophie a changé. Elle n'a pas seulement été déplacée d'un lieu à un autre. Les questions (il y en a 80 finalement) sont projetées en transparence sur le mur à l'aide d'un projecteur à diapositives dont les cliquetis réguliers nous dictent, sans qu'on s'en rende vraiment compte, le rythme à suivre quand on regarde les dessins de l'autre côté du mur. Certains dessins ne sont plus là. Des phrases continuent d'être remplacées par d'autres depuis que l'exposition a commencé. Peut-être que l'ordre des images change aussi. Tous ces déplacements, ils sont contextuels à l'espace, à l'état de l'artiste, aux commentaires qu'elle reçoit semaine après semaine.
Je me suis demandé comment mon écriture pouvait continuer à dialoguer avec cette oeuvre en devenir et j'ai proposé à Sophie de faire des «journées d'écriture» dans la galerie pendant la durée de l'exposition. Chaque semaine, je viens donc passer quelques journées entières dans la galerie pour laisser l'écriture advenir. J'ai décidé de ne pas avoir d'ordinateur pendant ces journées de résidence. Déjà, parce que je voulais laisser à l'écriture la possibilité d'être intime, et même privée. Il me fallait donc utiliser un support qui ne soit pas destiné à la diffusion. Ensuite, parce qu'il est trop facile, avec un ordinateur, de noyer l'ennui en ouvrant un dossier, une fenêtre. Alors que je voulais travailler avec l'ennui, avec les moments vides. Enfin, parce que je voulais que le temps de l'expérience soit visible, dans les ratures, dans la chronologie des pages qu'on tourne.
Je n'ai donc qu'un carnet, un bloc de post-its, des stylos, un appareil-photo. Une petite table et une chaise pliantes, que je peux déplacer dans la galerie pour changer de point de vue.
Ce qu'il se passe depuis, j'en partage quelques pages ici. On pourrait dire qu'il ne se passe pas grand chose. C'est l'impression que j'ai quand je sors de la galerie à la fin de la journée : «il ne s'est pas passé grand chose». Ou alors, «il se passe toujours la même chose». Il se passe des micro-événements qui captent mon attention parce que je suis disponible : les bruits de la pièce, la tâche rouge de l'alarme incendie sur le mur dans une salle tout en dégradés de gris, l'attitude des visiteurs, envers l'exposition et envers moi, les mille pensées qui parasitent ma présence....
Quand je relis les pages déjà écrites, je peux encadrer en rouge quelques phrases qui renouvellent mon regard sur l'oeuvre de Sophie Jodoin.