Une certaine instabilité émotionnelle, Sophie Jodoin
Sous l'invitation de Sophie Jodoin, j'ai écrit un texte qui cohabite avec sa toute récente exposition Une certaine instabilité émotionnelle. Pendant toute la durée de l'exposition, je ferai aussi une résidence d'écriture à raison d'une journée par semaine dans la galerie afin de continuer ce dialogue avec l'artiste. Je vous invite à découvrir son travail avant le 30 mai à la galerie.
Vue de l'exposition une certaine instabilité émotionnelle, 16 avril-30 mai, 2015, Battat Contemporary, Montréal, photo: Paul Litherland |
Les rues sont pleines de maisons qui ne sont pas la mienne. Je viens de nulle part. D'ailleurs. De partout. De tous les lieux où je vous ai croisés. J'avance comme si j'étais le personnage du rêve d'un autre. Une jambe après l'autre, d'un pas décidé, les images diront le reste.
Je ne me souviens de rien. Comment sont disposés les meubles. S'il y a des fenêtres. Il me reste, paraît-il, un couvre-lit, une lame coupante, un pouls rapide, des perles, des cheveux. J'ai depuis longtemps perdu de vue leur couleur.
Quelque chose s'est passé. Pourtant, je me réveille toujours la même, dans la même pièce, dans le même lit, sous les mêmes draps. Je collecte et rassemble les choses. Je les étale autour de moi, juste au cas où. Je ne me reconnais pas. Ça n'arrive pas à me surprendre.
Les images ne disent rien des drames qu'abrite le quotidien. Il y a des corps qui disparaissent. J'aurais dû faire des phrases pour les retenir. J'essaie de faire des phrases. En soliloque, j'arrive exactement à la phrase que j'aimerais vous dire, mais je suis incapable de la partager. On fait des phrases, mais on ne dit rien.
2.
Les rues seront pleines de maisons qui ne sont pas la vôtre. Vous viendrez de nulle part. D'ailleurs. De partout. De tous les lieux où vous m'aurez croisée. Vous avancerez comme le personnage du rêve d'un autre. Une jambe après l'autre, d'un pas décidé vers quelque chose, mais vous ne reconnaitrez rien. Ni les rues, ni les maisons qui les peuplent.
Vous ne saurez plus comment sont disposés les meubles. S'il y a des fenêtres. S'il vous reste un lit, un pouls, un corps. Vous ne vous souviendrez plus de la couleur des murs. Vous aurez depuis longtemps perdu de vue votre existence.
Quelque chose s'est passé, mais vous ne saurez pas quoi. La maison abrite aussi des drames, pas que du quotidien. Vous vous réveillerez dans le même lit, sous les mêmes draps. Vous ne vous souviendrez plus de la veille. Vous étalerez les preuves autour de vous. Vous aurez peur de ne plus vous reconnaître. Pourtant, vous vous reconnaîtrez. Ça n'arrivera pas à vous surprendre.
On vous dira de faire des phrases. Faites des phrases! Vous essaierez de faire des phrases
Texte de Céline Andréa Huyghebaert suite à une invitation de l'artiste Sophie Jodoin autour de l'exposition « une certaine instabilité émotionnelle » à la galerie Battat Contemporary (16 avril - 30 mai, 2015).