Exposer le livre, Kosuth, Grauerholz, Fragateiro, Jodoin

 Information Room (Special Investigation) de Joseph Kosuth (1970)

Nombreux sont les artistes qui intègrent aujourd’hui les livres à même leurs expositions. Il y a ceux qui transforment l’espace entier de la galerie en salle de lecture, comme la fameuse Information Room (Special Investigation) de Joseph Kosuth (1970), où l’artiste invite le public à le rejoindre et lire des livres théoriques rassemblés dans une salle de lecture. Je pense aussi à l’installation politique Reading of the Model Workers Club d’Alexander Rodtchenko (1924), reprise et réinterprétée par Angela Grauerholz avec Reading Room for the Working Artist (2003-2004) pour créer un « lieu de mémoire » qui imbriquerait l’histoire du club ouvrier à l’histoire d’autres artistes, et à ses propres archives personnelles.

Reading Room for the Working Artist (2003-2004) de Angela Grauerholz

L’espace se construit alors autour de tables et de chaises qui offrent au visiteur le confort et le calme de la bibliothèque ou du centre de documentation. Le livre n’y est pas fétichisé en tant qu’objet. Il est un support d’informations, d’idées, rendues accessibles grâce au dispositif qui permet la manipulation et la lecture.

[…] les idéaux artistiques et idéologiques de Rodtchenko, qui souhaitait offrir aux ouvriers un lieu de loisir et d’instruction, sont mis en parallèle avec les Time Capsules d’Andy Warhol et la Boîte verte de Marcel Duchamp, par exemple. Si Warhol n’avait aucun souci d’organiser sa matière, Duchamp pensait à ce qui allait devenir La mariée mise à nu par ses célibataires, même ; c’est ce type de polarité que j’ai mis en place dans les livres que j’ai produits à cet effet et qui font partie intégrante de l’œuvre. [Angela Grauerholz (2003-2004). Reading Room for the Working Artist.]


Mais même dans les expositions où il semble l’être (fétichisé), disposé dans une salle pour apparemment n’exploiter que ses qualités physiques, sa présence évoque le contenu symbolique d’idées qu’il renferme.


Fernanda Fragateiro, Looking at seeing and not reading, solo exhibition at East Central Gallery, London, England, 2010

Dans les installations sculpturales de Fernanda Fragateiro, les livres souvent présentés à moitié fermés, montés dans une structure qui n’en permet pas la manipulation, mais qui rend présentes les idées que le livre renferme. 


Sophie Jodoin, Toi que jamais je ne termine (2015-2017)


Ça me fait penser à une des dernières installations de Sophie Jodoin, Toi que jamais je ne termine (2015-2017) présentée à EXPRESSION en 2017 dans le cadre de l’exposition Room(s) to move : je, tu, elle. Sur une grande plateforme rectangulaire, 116 livres sont posés à plats, ouverts sur la page du titre, à cheval les uns sur les autres. Ils forment une grande boucle composée de titres dont l’assemblage forme l’histoire des stéréotypes féminins. Le visiteur ne peut pas toucher les livres. Il tourne autour. Mais, à cette lecture linéaire de titres anonymes s’ajoute une lecture que j’appellerai verticale : la présence physique du livre nous fait plonger dans son contenu d’histoires et d’idées, d’autant plus si nous reconnaissons le livre qui se cache sous le titre.